Le hameau de Sagnemorte Complément QRcode

.VAYRANA : Les chemins de l'Eau

Restauration de la croix de  Sagnemorte

 Datée de 1534, la croix du hameau de Sagnemorte à Roisey a fait récemment l’objet d’une restauration du « petit patrimoine », à l’initiative de Mme Paulette Louisgrand, des anciens membres de l’ADERN-Pilat, et des habitants du hameau, réalisant en 2020 le souhait de Louis Bourrin lors de la création de son association: Les amis de l’ancien temps en 1972.

.

.

Cette croix répertoriée dans l’ouvrage « Les croix monumentales du Forez » de M. Louis Bernard, était entreposée en 1967 dans la cave de Mme  Paulette Louisgrand. Il devenait impensable pour elle de la garder ainsi chez elle. Après plusieurs discussions, et consultations du cadastre actuel et du cadastre napoléonien, l’emplacement de la croix a été choisi à la section de la route et du chemin qui monte de Roisey à Sagnemorte, à proximité de ce qui a été un cimetière (dit « de la peste ») il y a bien longtemps.

 De nombreuses questions se sont posées sur les origines de cette croix et son histoire :

 - Quel nom attribué au saint sans tête ?

- Y a-t-il  une relation entre la Chartreuse de Sainte Croix en Jarez au moment de la Révolution et le haut du croisillon d’un grés de couleur plus jaune que le fût ?

Sur cette dernière question, aucune archive officielle n’a été retrouvée, mais certains témoignages évoquent le fait que les moines de la Chartreuse n’avaient pas été tués à Sainte Croix en Jarez, mais plutôt dispersés dans le Pilat. Des messes auraient donc pu se tenir a posteriori à Sagnemorte dans la belle maison centrale à voûtes et clocheton du hameau…

 Des indices sur la croix ont pu être aussi relevés :

 - Le haut de la croix ou croisillon est bien d’un grés plus jaune, alors que les deux autres morceaux du fût monolithe sont en grés gris, ce qui choque le public. Il a fallu procéder à la consolidation d’une grande fissure du second morceau du fût et prendre la décision de la remettre dehors avec les risques de dégradation dans le temps.

 - Les trous de scellement, du croisillon coïncident parfaitement entre le haut du fût, preuve qu’ils étaient assemblés à l’origine de la récente restauration.

Faute de pouvoir identifier formellement le personnage, sur les conseils de Mme Véronique Langlet-Marzloff, nouvelle habitante du hameau et attachée de conservation du patrimoine à Vienne, il a été décidé de ne pas restaurer la tête du saint. Pour le socle, une pierre calcaire provenant initialement des carrières de Villebois dans l’Ain, acquise à un habitant des usines de tissage aux Rivières à Pélussin et transportée gratuitement par l’entreprise Sauvignet Dumas, a permis de compléter parfaitement et d’ériger cette Croix de Sagnemorte. Depuis la fin des travaux, un petit rituel s'est instauré consistant à mettre un caillou à la place de la tête manquante. Une habitante a même écrit une « Ballade à Sagnemorte et à sa croix décapitée » ; ballade qui se chante sur l’air de la chanson anonyme : « A la claire Fontaine » !

 Les participants de ce projet fédérateur avaient décidé d’inaugurer officiellement la restauration de la croix de Sagnemorte. En raison de la crise sanitaire liée à la Covid-19, en accord avec la Mairie, l’inauguration programmée en juin 2020 a été reportée à une date ultérieure.

.

 

 .

  ******************************************

.

Extrait de « Les croix monumentales du Forez (Loire), par l’exemple » par Thierry Monnet – Chercheur du patrimoine à l’Inventaire général du patrimoine culturel, Région Rhône-Alpes.

 Historique et fonction des croix :

Nous avons distingué au cours de notre étude trois principaux types de croix : les croix de hameau ou de village, les croix de cimetière et enfin les croix de chemin.

-         Les premières sont mêlées de près à l’ensemble des constructions, se trouvant fréquemment sur les places publiques, lieux de réunions et d’échanges de la population ; elles marquent alors bien souvent le cœur de la communauté villageoise. Parfois ces croix deviennent des lieux de rassemblement ; la croix est alors encadrée de bancs de pierre adossés à une clôture maçonnée, qui permettaient aux gens de prier ensemble, comme pour suppléer l’absence d’une chapelle

-         Les deuxièmes se trouvent dans l’enclos des cimetières, et jusqu’au XVIIe siècle, elles sont les plus importantes et les plus richement ornées. Au XIXe siècle, les anciens cimetières désaffectés disparaissent et deviennent des places publiques (décret du 23 Prairial an XI interdisant le maintien des cimetières autour des églises). Les croix qui restent en place sont changées en croix de village, les autres suivent la translation du cimetière ou disparaissent car jugées trop vétustes pour supporter le déplacement.

-         Les croix de chemin, enfin, sont érigées à la croisée des routes à l’entrée des hameaux ou en dehors de ceux-ci, sur les chemins, aux carrefours, aux limites des parcelles ; croix de mission, croix privées ou commémoratives, d’autres eurent également des fonctions de bornage, de limite de châtellenie, de paroisse ou de justice.

Etude chronologique des croix :

La datation des croix n’est guère aisée. Certaines sont documentées ou millésimées et permettent alors, par analogie, d’en dater de semblables ; mais parfois, les dates portées correspondent à celle d’une restauration, d’une reconstruction, ou d’un événement historique et peuvent donc être source d’erreur. D’autres, de par leur

technique (type d’imbrication du fût dans la base, fer forgé…), leur matériau (pierre de Volvic, calcaire, bois, fonte), leur iconographie (Vierge à l’Enfant couronnée ou non, saints protecteurs, bubons, cœur, instruments de la passion, fleurs de lys, symboles christiques…), leur physionomie (croix monolithe, section du fût, moulurations, style de la sculpture…) sont relativement bien datables.

L’étude croisée des particularismes historique, stylistique, et technique de chacune des croix, a permis de définir sept types distincts, et sept sous-types intégrant certaines constantes ornementales ou structurelles (croix monolithes, iconographie du croisillon, présence de sculptures sur le fût, présence de fleurs de lys ou d’un décor avec volutes ou losanges et cercles…).

Le premier type correspond aux croix en granite ou en grès, du XVe siècle ; le deuxième type regroupe les croix en granite ou en grès, des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles ; le troisième illustre celles qui sont en fer forgé et découpé des XVIIe, XVIIIe ou 1ère moitié du XIXe siècles ; le suivant concerne les croix en fer forgé du XIXe siècle ; le cinquième prend en compte les croix en fonte ; le sixième celles qui sont en pierre de Volvic, et le dernier englobe tous les autres types (croix en bois, béton…).

Etude typologique des croix :

De l’époque romane au XVe siècle, nous ne connaissons que de très rares exemples de croix qui nous soient parvenues ; elles auront souffert des maux que les conflits politiques ou religieux, les intempéries ou les accidents leur auront infligés.

De 1330 à 1480, les fléaux liés aux épidémies et aux conflits désastreux, comme la Grande Peste noire de 1348 et la guerre de Cent ans (1337-1453), ont limité la production de croix, en particulier au XV e siècle.

A la fin du XVe siècle, une fois la paix retrouvée, le gothique flamboyant imprègne sobrement les églises foréziennes et de nombreuses croix s’élèvent et se parent d’une iconographie plus diversifiée que les croix du XVIe siècle accentueront encore.

« Jailli d’une lourde table, dont la masse s’attache au sol, le fût [de la croix] très élancé porte en plein ciel les scènes de la Passion, sculptées sur un croisillon de forte envergure ». C’est ainsi que Louis Bernard introduit son descriptif des croix du XVIe siècle.

Les croix de cette époque ont des caractéristiques communes. Le matériau mis en œuvre est le granite à gros grain, exploité dans tout le Forez, et le grès. Le socle, gros parallélépipède maçonné, est couvert d’une large table monolithe. A la base du fût, haut de 2 à 4 mètres, un dé de section carrée est fréquemment orné de moulures prismatiques ; c’est sur celle-ci que se trouvent parfois les dates, blasons ou inscriptions, un texte en lettres gothiques pouvant également être reporté sur le pourtour de la table. Au sommet du fût, le croisillon historié n’excède pas en général 1,20 m ; il comporte une large base qui favorise son assise, parfois ornée de feuillages ou d’animaux. Des bouquets de feuillages, ou de feuilles de choux d’inspiration auvergnate, taillés en carré aux extrémités des bras, caractérisent la majorité des croix du XVIe siècle.

Une grande partie des croix en fer forgé du XIXe siècle ont des bras ajourés et ornés de motifs géométriques semblables. Ce sont bien souvent des suites de cercles et de losanges en alternance, ou de volutes en S.

Sous la Restauration, à partir de 1820, on élève de très nombreuses croix en fer forgé. Elles s’ornent presque systématiquement de fleurs de lys sous Louis XVIII et plus encore sous Charles X. On image ainsi l’alliance du Trône et de l’Autel qui s’épaulent l’un l’autre. En 1830, au début du règne de Louis-Philippe, la fleur de lys, interdite par décret du 22 février 1831, disparaît des croix.

La pratique de commémorer les missions paroissiales, en usage dès le XVIIe siècle, s’accentue au XIXe siècle dans de nombreuses paroisses, en moyenne une tous les 10 ou 15 ans, jusque vers 1970. Accueillies avec ferveur, des bannières de mission étaient brodées pour l’occasion et une croix de mission était érigée afin d’en conserver le souvenir.  Une plaque commémorative rappelle les missions, ainsi que le nom des donateurs. C’est à partir du milieu XIXe siècle que la fonte remplace le fer forgé pour les croix monumentales.

La toponymie locale a parfois gardé le souvenir de ces croix, élevées en période d’épidémie pour conjurer le fléau, érigées comme limite de paroisse, de justice ou de domaine. Aujourd’hui occasionnellement restaurées, mais trop souvent méconnues de la population, ces nombreuses croix disséminées sur le territoire, demeurent, au fil des siècles, autant de repères durables, de signes sensibles d’un attachement profond des hommes à leur terre, et un témoignage séculaire de leur dévotion religieuse.

 Thierry Monnet – Chercheur du patrimoine à l’Inventaire général du patrimoine culturel, Région Rhône-Alpes

Pour citer cet article : Référence électronique

MONNET, Thierry. « Les croix monumentales du Forez (Loire), par l’exemple », Les carnets de l’Inventaire : études sur le patrimoine – Région Rhône-Alpes [en ligne], 5 juin 2012 [consulté le…]. URL : <http://inventaire-rra.hypotheses.org/862>